Enjeux
II - Les problèmes qui alimentent la fracture territoriale
Une technostructure jacobine coupée des territoires, qui bloque les réformes
En France, la montée en puissance de la Monarchie absolue a concentré le pouvoir au cours des siècles
Depuis Philippe Le Bel (1268-1314), le pouvoir en France a toujours eu une volonté d'imposer un Etat fort et centralisé.
En 1789, la Révolution a amorcé un début de décentralisation.
Mais cette volonté décentralisatrice a été stoppée nette dès 1792, suite à la déclaration de guerre à l'Autriche. La priorité est alors donnée à l'unité nationale et un retour à un Etat fort et centralisé. En quelques mois les Jacobins de Robespierre s'emparent du pouvoir par la force pour imposer un pouvoir totaltaire.
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Les "Girondins" n'étaient pas des "Fédéralistes"
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Et Lamartine inventa le "girondisme" Source : Le Point n° 2421 - page 42 - François-Guillaume Lorrain C'est la thèse d'un spécialiste incontesté de la Révolution Française, Jean Clément Martin, qui nous rappelle que c'est Lamartine, en 1847, républicain modéré, qui fige ce terme dans un ouvrage un peu romancé, ' "l'histoire des Girondins", qui fut un best seller. Les Girondins passent donc à la postérité comme les victimes des Montagnards. La légende est en marche. "Or, en Mai 1793, quand les "Girondins" perdent le pouvoir, ils ne se nomment pas ainsi, c'est un agrégat de plusieurs groupes, les brissotins partisans de Brissot, un Parisien, les rolandins (Roland, de Lyon), les buzotins (Buzot, de l'Eure). Le seul Girondin actif est l'avocat Vergniaud, sur lequel Lamartine jette son dévolu. Par ailleurs, Buzot, Piéton, le maire de Paris, et Barbaroux, un Marseillais, vont trouver refuge en Gironde, voilà pourquoi Lamartine fait l'amalgame." Lorsque la guerre est déclarée, en Avril 1792, les "Girondins" aux manettes seront les tenants d'un pouvoir fort et centralisé, tout autant que les Montagnards. |
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Ce sont les "Girondins" qui sont à l'origine de la déclaration de la guerre à l'Autriche et à la Prusse le 20 Avril 1792, croyant pouvoir ainsi exporter la Révolution Française dans toutes les nations d'Europe. Les Montagnards sont beaucoup plus divisés . Quant à Robespierre, dans un premier temps il y est tout à fait opposé.
En voulant préserver la légalité d'une monarchie parlementaire tout en déclarant la guerre aux autres Monarchies, les Girondins ont provoqué à la fois le veto du Roi, qui les discrédite en refusant de signer, et la volonté insurrectionnelle des Montagnards qui veulent abolir la Monarchie.
Les Girondins encouragent des manifestations, qui dégénèrent, révélant leur incapacité à maîtriser la situation.
En Juillet 1792, les défaites se multiplient face aux armées étrangères.
En 1793, fortement affaiblis, les Girondins ne peuvent empêcher le déclenchement de la guerre de Vendée en Mars, l'instauration du Tribunal Révolutionnaire le 3 Mars , la création du Comité de Salut Public le 6 Avril.
Face à la volonté des "Girondins" de freiner la politique de Terreur, la Commune de Paris contrôlée par les Jacobins déclenche l'insurection des sans culottes parisiens, qui débouche sur un coup d'Etat. La Convention nationale cernée par les émeutiers et canons de la garde nationale, vote sous la contrainte l’expulsion de vingt-neuf députés girondins et de deux ministres, le ministre des Affaires Étrangères et le ministre des Finances ; les girondins sont vaincus.
Les Jacobins ont accusé les "Girondins" d'être des "Fédéralistes", uniquement parce que ceux ci s'opposaient aux massacres commis par les milices des Jacobins dans les provinces qui refusaient le coup d'Etat Parisien et la politique de terreur.
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Source : Le Point n° 2421 - page 42 - François-Guillaume Lorrain "Etre fédéraliste, explique Martin, c'est menacer l'unité nationale. Etiqueter l'adversaire de fédéraliste, c'est le disqualifier. Surtout en 1792, lorsque débute la guerre, où seule compte l'unité nationale. Le fédéralisme devient l'ennemi, qui désunit". Etant donné que les "Girondins", revenus au pouvoir après Thermidor (1794) disqualifieront en retour les Montagnards en stigmatisant leurs commissaires sanguinaires envoyés en province, se met en place une opposition entre deux France. |
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En résumé, Girondins et Montagnards partageaient une vision relativement proche d'un pouvoir centralisé. Leur opposition portait sur la nature de ce pouvoir : les Girondins voulaient une Monarchie parlementaire libérale, les Jacobins une République totalitaire, qui deviendra la matrice des totalitarismes idéologiques du XXème siècle.
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Napoléon invente l'administration moderne centralisée
Napoléon dote son Empire d'une administration extrêmement efficace, sans équivalent dans le monde depuis l'apogée de l'Empire Romain : préfets, Conseil d'Etat, Cour des comptes, code Napoléon applicable dans tout l'Empire.
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La restauration a conservé l'administration centralisée napoléonienne
De retour sur le trône, Louis XVIII conserve cette centralisation administrative instaurée par Napoléon, pour "fixer la France" selon l'historien Arnaud Teyssier.
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Les III et IV Républiques Parlementaires ont été centralisatrices
Les IIIe et IVe Républiques furent centralisatrices, alors que "l'idée régionaliste est d'abord une idée antirépublicaine" souligne Arnaud Teyssier.
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De Gaulle crée le pouvoir technocratique moderne
Source : Le Point n° 2421 - page 43 - François-Guillaume Lorrain De Gaulle, qui a parachevé la centralisation politique avec la Constitution de 1958 en créant les régions en 1966, suit une logique administrative d'aménagement du territoire initiée par Paris : "Il veut contourner la classe politique locale, dont il se méfie, en créant un autre niveau d'action publique, de jeunes élites économiques qui émergent, qui seraient le relaie, la courroie de transmission avec la société", analyse Teyssier. |
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La décentralisation inachevée de François Mitterrand
Source : Le Point n° 2421 - page 43 - François-Guillaume Lorrain Dès son élection, François Mitterrand confie à son Ministre de l'intérieur, Gaston Deferre, le projet d'une loi de décentralisation, qui sera votée le 2 Mars 1982. En instaurant la décentralisation, Mitterrand veut casser l'Etat gaullien (de l'élite technocratique) en redonnant le pouvoir à la classe politique locale (pour recréer les jeux d'appareil politique du temps où il était Ministre sous la IVe République). En 2004, Raffarin poursuit cette politique de décentralisation. |
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La technostructure administrative bloque les réformes
La technostructure a pris le pouvoir face aux dirigeants politiques
En rendant le moindre détail très compliqué, les directeurs administratifs sont les seuls à détenir l'expertise technique face aux Ministres qui ne resteront à leur poste que quelques mois. Par cette stratégie d'imposer dans tous les domaines une réglementation trop lourde, trop complexe et instable, les Directeurs d'Administration sont les véritables détenteurs du pouvoir en France.
C'est ainsi que les Directeurs d'Administration peuvent faire voter par l'Assemblée Nationale des lois aberrantes, incompréhensibles et nuisibles pour le pays.
Le pouvoir réglementaire de l'Administration est quasiment sans limites, le moindre petit chef de bureau peut rajouter à sa guise une couche de réglementation administrative aux lois nationales et européennes. Si une réforme voulue par le gouvernement ou une loi votée par les députés ne leur plaît pas, ils ne l'appliquent pas. Contrairement aux élus, qui peuvent être sanctionnés par leurs électeurs, les technocrates n'ont aucuns comptes à rendre à personne.
Tous ces bureaucrates, même au plus haut niveau, n'ont pas de vision générale, ni de vision politique du pays. Le pouvoir qu'ils exercent ne peut être que technique, bureaucratique et coercitif. Ils n'appliquent pas les réformes voulues par les politiques, parce qu'elles remettrainet en cause leur fonctionnement et leur pouvoir.
La compexité administrative met les élus locaux sous tutelle des experts et des comptables
source Le Point - 28 Mars 2019 - page 153 - Jean-Pierre Rioux Le notable local très ruralisé a sérieusement reculé. Jadis, cet élu se frayait un chemin dans la négociation avec la préfecture et les ministères. De nos jours, la complexité administrative est telle que seul l'expert et le comtable savent s'y retrouver. Par ailleurs, le cumul des mandats permettait au député maire d'être actif à Paris. Aujourd'hui, le territoire devient une espèce de creux géré de Paris sans répondant communal qui donne de la chair, d'où ce face-à-face qui oppose désormais un peuple qui se sent relégué aux élites hors sol. |