I - La fracture territoriale est multiple
Fracture culturelle
La fracture territoriale est avant tout une fracture culturelle entre les élites d'une dizaine de grandes métropoles, totalement intégrées à la mondialisation, et le reste du pays, qui supporte le coût de cette mondialisation. Cette fracture culturelle crée une opposition entre les grandes métropoles mondialisées et les territoires périphériques. Elle crée aussi une opposition au sein même des grandes métropoles mondialisées. C'est pourquoi le vote protestataire contre la mondialisation s'exprime sous deux formes, l'une à consonance identitaire et rurale, l'autre plus urbaine, les deux se rejoignant sur le social et le rejet de l'Union Européenne.
Les élites des grandes métropoles mondialisées sont dans leur rôle lorsqu'elles défendent leurs intérêts. Le problème vient du fait qu'elles sont les seules à prendre les décisions pour l'ensemble du pays. Même si elles n'en sont pas conscientes, elles restent fortement imprégnées de la vision Jacobine d'une République "unitaire". La vision des Girondins, pour qui l'unité nationale ne veut pas dire uniformité, est quasiment toujours ignorée au moment de la rédaction des textes de lois qui régissent l'économie française.
Derrière la fracture culturelle, il y a une fracture politique, du fait de la sous représentation des élus défendant les intérêts de la France périphérique.
La "gauche culturelle" a imposé les valeurs "sociétales" de la bourgeoisie intellectuelle des grandes métropoles, au détriment du combat "social" des classes populaires et des valeurs traditionnelles des territoires.
Le sociologue Jean-Pierre Le Golff démontre comment les militants de l'extrême gauche de 68 ont accédé aux plus hautes responsabilités dans les partis de gauche, les médias, les milieux culturels, l'éducation, la justice, les syndicats, pour imposer leurs valeurs "sociétales", au détriment du combat "social" des classes populaires et des valeurs historiques de la gauche telles que la citoyenneté, la laïcité, l'émancipation des femmes soumises aux contraintes communautaristes et religieuses.
L'urbaniste américain Joel Kotkin constate que le politiquement correct de l'extrême gauche universitaire américaine a contaminé le parti démocrate et la bureaucratie administrative, les industries du divertissement et des nouvelles technologies, ainsi qu'une partie des médias. Créant ainsi une fracture culturelle, qui a fait perdre au Parti Démocrate son électorat traditionnel dans les classes moyennes et populaires de la communauté blanche.
Le romancier Olivier Adam a observé qu'il existe une fracture au sein même de la "gauche culturelle", celle des territoires éprouvant du ressentiment par rapport à celle de Paris ("Les associations culturelles se sont senties dépossédées de leur pouvoir par une offre culturelle venue de Paris."), tout en partageant le même mépris pour les classes populaires.
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Seuls ceux qui profitent de la mondialisation et de la nouvelle économie imposent leur vision du monde au reste de la population
Le britannique David Goodhart constate que dans tous les pays, ceux qui profitent de la mondialisation et de la nouvelle économie (les "anywhere") imposent leur vision du monde à ceux qui en sont victimes (les "somewhere").
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La culture d'un territoire est en partie façonnée par son type d'urbanisation et la diversité de sa population
Le géographe Jacques Levy constate que le degré d'ouverture d'un territoire à la diversité culturelle et à la modernité dépend de la densité et de la diversité de sa population.
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Exemples de fracture culturelle
- Les élites des métropoles mondialisées imposent la dématérialisation des démarches administratives aux 13 millions de Français qui sont exclus du tout-numérique
- Compte pénibilité, prélèvement de l'impôt à la source : des mesures trop complexes prises par des énarques parisiens, impossibles à mettre en oeuvre par les très petites entreprises des territoires
- Personne ne communique sur le taux de suicide des paysans, pourtant deux fois plus élevé que la moyenne nationale. Par contre, les médias se sont fortement mobilisés pour dénoncer le taux de suicide de France Telecom lors de sa privatisation, alors qu'il est resté proche de la moyenne nationale, c'est à dire deux fois plus faible que celui des paysans.
- Une loi de 1919 interdit aux boulangeries d'ouvrir 7 jours par semaine, alors que la grande distribution peut ouvrir tous les jours, y compris le Dimanche matin.
- Des retraités venus des métropoles font interdire la cloche de l'Eglise du village, ou fermer l'exploitation agricole de leur voisin.
- Les addictions et maladies des élites urbaines (drogue, sida, anorexie des manequins) bénéficient de la compassion des médias et des fonds publics. Celles des pauvres et des ruraux (tabagisme, alcoolisme, obésité) sont l'objet de leur mépris et des taxes.
- Le financement sur fonds publics de l'Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie permet à un groupuscule d'activistes de faire du lobbyng politique pour imposer à la filière viticole française la législation la plus répressive au monde. Derrière un discours puritain hygiéniste, ce groupe de pression vise à saper un secteur économique qui représente 500.000 emplois et les deuxièmes plus importantes recettes d'exportation après celles du secteur aéronautique. Il ne s'attaque qu'à l'alcool ou au tabac et ne dit rien sur les addictions à la drogue et aux anti-dépresseurs.
- Le ministre de la Transition écologique et solidaire Nicolas Hulot démissionne début Septembre 2018 le lendemain d'une réunion à l'Elysée avec des représentants des chasseurs. Cet acte illustre de façon caricaturale la fracture territoriale et a peu à voir avec "la transition écologique et solidaire".